Découverte amusée du papier de Jessica Nadeau, du 18 octobre 2018, dans Le Devoir, qui retrace le jugement prononcé par l’arbitre William Kaplan à l’issu d’un litige opposant l’Association de l’Université Ryerson et les administrateurs concernant les outils d’évaluation par les étudiants des professeurs d’université, particulièrement pour ce qui regarde les promotions ou l’obtention de la permanence : Échec à l’évaluation des professeurs universitaires. « Évaluation », comme « performance », son corrélat, ces maîtres mots de la novlangue académique. L’article pointe des « outils partiaux et discriminatoires » (notamment sur les critères relatifs au genre, à l’origine ethnique, etc.), inaptes en tous cas à produire des résultats absolument « fiables sur le plan scientifique ». L’arbitrage a procédé en prenant appui sur des « experts » (lesquels ? de quoi ? dans quel champ ? selon quels savoirs, points de vue ou données ? etc.) et un rapport de Richard L. Freishtat (Director of the Center for Teaching and Learning at UC Berkeley). Le plus curieux n’est pas tant le processus juridique que les interprétations qui le relaient. Bien entendu, les retombées possibles du côté institutionnel et syndical ; mais à écouter certains acteurs, tels du moins que les retrace le texte, l’idée même d’évaluation n’est pas fondamentalement contestée. Au mieux, elle apparaît comme un « mal nécessaire ». Nécessité… historique, qui en dit long sur l’incorporation (et la naturalisation) des pratiques. Un terme auquel il conviendrait encore de substituer « appréciation », ce qui représente un progrès spectaculaire, on en conviendra. Au reste, il est acquis que l’évaluation a un rôle à jouer dans « l’expérience globale » de l’étudiant ; ce n’est pas le fait d’évaluer mais les méthodes qui l’entourent qui sont mises en doute, et doivent par conséquent être revues. Ce point de résistance importe pour ce qui est décrit plus justement au courant de l’article comme des « sondages », en phase avec un modèle politique de démocratie communicationnelle. Et on le sait, c’est un fonds de commerce très rentable. Il existe de nombreuses entreprises spécialisées, durables ou précaires, qui offrent des services adéquats (achetés et consommés par les appareils d’enseignement et de savoir). Ces sondages qui s’adressent plutôt au registre de l’opinion matérialisent certes une forme de pouvoir de l’institution sur ses agents, ils représentent parmi d’autres une voie de contrôle de la société sur le monde universitaire. Leurs usages ou mésusages autorisent en tous cas cette observation philosophique de la part de l’arbitre : « […] certaines questions classiques sur les connaissances du professeur et sur le curriculum du cours sont “hautement problématiques”, car les étudiants n’ont pas nécessairement “l’expertise” nécessaire pour juger de ces aspects. » Non, en effet, puisqu’ils se sont inscrits à l’université pour apprendre et acquérir par définition cette « expertise » qu’ils ne possèdent pas… Il n’y a pas loin à penser que l’« évaluation » ainsi conçue est une variante de l’utopie.