Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 15 décembre 2017

HISTOIRE DE PARENTÉS


Curieux texte de Giorgio Agamben, qui m’avait échappé, et dont je dois la référence à Jürgen Trabant : « Que l’Empire latin contre-attaque ! » dans une traduction de Martin Rueff, publié dans Libération (24 mars 2013), après qu’il a paru comme essai original dans le quotidien La Repubblica (15 mars 2013 : http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2013/03/15/se-un-impero-latino-prendesse-forma-nel.html : Se un impero latine prendesse forma nel cuore d’Europa). Au-delà du titre pastiche (de mauvais goût, pardon !…), l’effet de polémique, bien sûr, puis la stupeur. Pourtant, ce qui agrippe dans l’immédiat ce n’est pas tellement le recours au Memorandum de Kojève remis à De Gaulle en 1945, L’Empire latin. Esquisse d’une doctrine de la politique française, son « actualité » en ce qu’il se vérifierait et permettrait la critique d’une Europe fondée sur « une base strictement économique » au détriment des « formes de vie, de culture et de religion » : déclin des États-nations, émergence de puissances politiques trans-nationales, convergence des intérêts anglo-saxons (Allemagne, Angleterre, États-Unis), réduction de la France à « un rôle périphérique de satellite », nécessité de réarticuler un « Empire latin », proposition s’appuyant initialement sur les « trois grandes nations latines (à savoir la France, l’Espagne et l’Italie), en accord avec l’Église catholique dont il aurait recueilli la tradition tout en s’ouvrant à la Méditerranée ». Un tel schéma géopolitique refiltre évidemment la notion d’empire par la thèse de Hardt et Negri. Mais il est fondé sur de singuliers silences : la situation franquiste de l’Espagne de l’époque, et elle fut durable ; « l’ouverture » – et le mot est gracieux tant il se charge d’européocentrisme – sur l’espace méditerranéen avec ce qu’il implique de diversité culturelle (les monde grecs, turcs, arabes et juifs, notamment) ; le rôle positif, y compris sur le plan économique (l’étalon monétaire du Deutschmark par exemple), de l’Allemagne dans la construction européenne, et simplement son histoire interne post-hitlérienne : la division du pays, la crise du Mur, et le défi historique qu’a représenté la réunification ; l’oubli des pays scandinaves et de la zone slave, etc. La critique de l’hégémonie germanique (et il faudrait la comparer sur ce point aux discours portant pendant un temps sur la croissance économique de cet autre perdant de la guerre qu’a été le Japon) active nombre de sous-entendus fantasmatiques et de peurs. Le point de rupture se situe néanmoins sur la latinité de l’empire kojévien – même suggéré dans les termes d’Agamben. Car s’il se trouve défendu au nom de « formes de vie », au lieu des violences de l’économisme et du libéralisme, c’est pour mettre de l’avant « culture », « langue », « mode de vie » et « religion ». De fait, cette latinité passe notamment par la romanité. Et il est remarquable que pour promouvoir contre sa « disparition » le « patrimoine culturel » qui unit possiblement d’autres nations, Agamben fasse appel par trois fois à la notion de parantela, traduite en français d’abord par « liens » puis « parentés », et circulant de fait d’un philosophe à l’autre : « Alla base di questi imperi non poteva essere, però, secondo Kojève, un’ unità astratta, che prescindesse dalla parentela reale di cultura, di lingua, di modi di vita e di religione  […]». – « Proprio oggi che l’Unione europea si è formata ignorando le concrete parentele culturali può essere utile e urgente riflettere alla proposta di Kojève. Ciò che egli aveva previsto si è puntualmente verificato. Un' Europa che pretende di esistere su una base esclusivamente economica, lasciando da parte le parentele reali di forma di vita, di cultura e di religione, mostra oggi tutta la sua fragilità, proprio e innanzitutto sul piano economico. » Dans cette optique qui envisage avant tout la culture par le « patrimoine », bien plutôt que dans le présent des langues et des sociétés, il est pour le moins étonnant que ce terme – lesté par l’héritage XIXe siècle, les linguistiques comparatistes et spécialement indo-européanistes (et luniversité prussienne pour le coup a été à l’avant-poste de ces savoirs...) qui se sont construites sur cette base pré-scientifique pour lui donner un fondement plus rationnel et méthodologique – ne soit à aucun moment questionné ni inquiété. Mais j’imagine qu’on a la théorie de la culture qu’on mérite.