Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 24 décembre 2017

ÉDITION CÉLINE

Ça n’a pas traîné. Déclaration d’un groupe d’universitaires et de chercheurs à propos du projet de réédition des pamphlets de Céline« à paraître dans L'Obs », que je viens de recevoir de Marc Angenot. Étrangement, peut-être, alors que la critique porte notamment sur la qualité et le genre d’édition, aucune mention de l’édition québécoise des Œuvres polémiques au Québec en 2012. Car il y a eu précédent. Voir post « Reverdie et hainographie » (8 décembre 2017).

« Qui a lu les pamphlets de Céline en connaît la dangereuse virulence. Le talent stylistique, le sens de la formule portent loin, sans euphémisation, la haine et la violence, celles bien évidemment du racisme et de l’antisémitisme. L’aura littéraire de l’auteur, qui leur confère une force de séduction supplémentaire, ne doit pas oblitérer leur ancrage historique, ni leur caractère propagandiste pleinement assumé par Céline lui-même. Ces textes ont fait la preuve, pendant l’Occupation, de leur redoutable efficacité en banalisant la haine antijuive, en la rendant « acceptable », en préparant les esprits aux mesures de discrimination adoptées par Vichy dès 1940. Ces pamphlets se caractérisent par la facilité avec laquelle ils se prêtent au découpage, à la reprise en citations. « Nous en savions  des pages et cent aphorismes par cœur »  déclare Lucien Rebatet à propos de Bagatelles pour un massacre  (1937).  On peut imaginer que ce danger n’est pas écarté aujourd’hui, au vu de ce que l’on peut lire sur Internet, et dans un contexte où, en France comme en Europe, on en arrive à tuer des Juifs parce qu’ils sont juifs. À  cela, les  pamphlets  ajoutent  un engagement clairement  prohitlérien,  au point d’appeler à une « confédération des États Aryens d’Europe » et à une « armée franco-allemande » comme « seule force anti-juive en ce monde » (L’École des cadavres, 1938). Pour ces différentes raisons, une réédition de tel ou tel pamphlet de Céline ne peut être envisagée à la légère.
Une édition critique des pamphlets céliniens se doit de prendre en compte le statut très particulier de ces textes et de s’interroger sur leurs effets. S’ils appartiennent  à certains égards à la littérature pamphlétaire, ils relèvent aussi, bien évidemment, de la propagande raciste et antisémite d’inspiration nationale-socialiste.  À ce titre, ils concernent  l’histoire dans divers domaines : allusions souvent trompeuses à la Première Guerre mondiale ou à l’actualité de l’avant-guerre, références douteuses au régime de Vichy, à la Collaboration ou à l’actualité de la Seconde Guerre mondiale (pour Les Beaux Draps et les rééditions des deux premiers pamphlets), réactivation du mythe de la Révolution « judéo-bolchevique », emprunts à la propagande nazie, qu’elle soit française, allemande, américaine, canadienne.  Ces textes renvoient, par leurs « citations », à l’histoire du judaïsme,  à celle de l’antisémitisme, du racisme et de l’antiracisme. L’histoire des idées et des représentations sociales y est impliquée. En ce qu’ils cherchent à faire croire et à faire faire, ils requièrent aussi l’analyse du discours argumentatif.
C’est dire qu’une édition scientifique ne pourrait qu’être le fait d’une équipe de spécialistes des  différents domaines concernés. Il s’agit d’une tâche qui doit prendre le temps nécessaire. Elle ne peut se faire à la va-vite. L’édition critique allemande de Mein Kampf, parue en 2016 sous l’égide de l’Institut d’histoire contemporaine de Munich,  constitue, selon nous, un modèle et une référence : on remarque que les annotations et les éléments bibliographiques occupent plus des deux tiers du volume. Pareils textes de propagande requièrent une contextualisation rigoureuse susceptible de mettre en lumière les citations ou les chiffres falsifiés, de démonter les mensonges et les accusations  diffamatoires. Une édition scientifique des pamphlets céliniens se doit de répondre par des faits, des apports de la recherche historique et des analyses à des écrits qui, sans cela, resteraient purement et simplement des textes de propagande haineuse et dangereuse. À cet égard, la décision de publier ou non les notes et les commentaires en regard des textes est de haute importance. Le mode de lecture des pamphlets ne serait pas modifié si l’appareil critique était placé en fin de volume. Leurs effets de séduction et de persuasion ne seraient guère affectés.   
Ne pas inscrire ce projet dans cette démarche rigoureuse, ne pas le fonder sur des principes méthodologiques scrupuleux, cela conduirait à conserver leur caractère originel à ces écrits incendiaires : l’incitation à la haine raciale que la Loi punit. Alain Soral, Dieudonné M’Bala M’Bala ou Jean-Marie Le Pen ont été condamnés pour des propos beaucoup moins violents que bien des passages des pamphlets.
Nous n’entretenons  pas l’illusion de « convertir » les racistes et/ou antisémites invétérés. Mais nous pensons que la connaissance et l’analyse critique permettent seules d’éclairer les citoyens dans une société démocratique.

Signataires :

Marc Angenot  Professeur, titulaire de la chaire James McGill d’étude du discours social (Montréal)
Annette Becker  Professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris-Nanterre
Emmanuel Debono  Historien, Paris 1
Annick Duraffour  Professeure en CPGE
Philippe Gumplowicz  Professeur à l’université  d’Évry-Val d’Essonne 
Laurent Joly  Directeur de recherche au CNRS
Grégoire Kauffmann  Historien et éditeur, enseignant à Sciences Po Paris
Marie-Anne Matard-Bonucci  Professeure d’histoire contemporaine à Paris 8
Henry Rousso  Directeur de recherche au CNRS
Odile Roynette  Maîtresse de conférences HDR en histoire contemporaine à l’université Bourgogne-France-Comté
Pierre-André Taguieff  Directeur de recherche au CNRS »