Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 27 novembre 2019

UN DOIGT SUR LES LÈVRES

De ce côté, certains fils se plaisent à se nouer et dénouer. D’abord cet entretien, donné par X. Dolan à RDI (émission 24 / 60 – septembre 2016), qui ne se contente pas de résumer l’essentiel du drame lagarcien : « quand on doit dire l’indicible », mais en propose plus efficacement une allégorie à travers l’anecdote d’une spectatrice sourde-muette assistant à l’une des projections en France, j’y reviens ensuite. À coordonner avec cette double entrée du texte et du film. La première, la longue tirade d’Antoine à la scène 3 de la deuxième partie, qui a précisément disparu du film de Dolan : « rien jamais ici ne se dit facilement » ; l’autre propre au film, l’échange final de regards (champ-contrechamp) entre Catherine (Marion Cotillard) et Louis (Gaspard Ulliel) suivi du geste, le doigt sur les lèvres en guise de requête, celle du silence, auquel consent Catherine : une séquence absolument inexistante chez Lagarce. On peut la trouver emphatique, trop éloquente. Il reste que l’enjeu qui réunit les deux œuvres est sans équivoque possible le silence. Mais il n’a pas la même valeur. La phrase d’Antoine (version Lagarce) met l’accent sur la difficulté voire les empêchements à dire, mais ces obstacles répétés sont la preuve d’une tentative sans cesse renouvelée de dire, à la fois recommencée et empêchée, d’aller vers l’exactitude, de trouver le mot juste qui traduise la pensée, l’émotion, l’état de chacun. Le geste de Louis (version Dolan) referme ce drame de la parole. Le cinéma a bien compris que toute la pièce était destinée à une problématique du langage, mais le film se referme sur la maladie et la mort. Le doigt sur les lèvres ressortit à une intimation, il consigne un contrat du silence entre les deux personnages, quitte à réprimer la vérité, à refermer les blessures familiales sans être capables de conjurer l’issue tragique de l’histoire. Les deux perspectives sont pratiquement opposées. Mais elles procèdent de la même expérience.