Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 27 novembre 2019

LE TRAVAIL DU VISIBLE

L’anecdote a valeur d’allégorie, elle peut servir de méthode d’analyse ou de mode de lecture. En premier lieu, elle consiste pour l’auteur à élire ou construire le spectateur idéal ou fantasmé, tel qu’il se prend du moins à l’imaginer, parce qu’il serait au plus près du sens de son entreprise artistique. Un spectateur qui serait coupé de la musique, de la bande son, qui n’entendrait pas les dialogues au double sens du terme ; mais qui serait exposé au travail brut de l’image et plus largement du visible (quelque chose qui vient chercher aussi dans la mémoire et l’histoire du cinéma lui-même). Ainsi le handicap se renverse : loin d’être privation et manque il devient aux yeux de Dolan l’instrument d’une compréhension inédite, intime, de l’œuvre. C’est sans doute une compréhension d’abord sensible (il est question plus loin du « cœur »), dont le champ d’incidence concerne apparemment l’émotion. Mais alors que la spectatrice sourde-muette est celle qui se tient devant l’écran plutôt que dans l’écran, sa lecture du film procède en vérité par un regard de l’intérieur. En second lieu, ce travail brut du visible permet de mettre le doigt sur la poétique du silence, qui constitue et le drame et le film. De Lagarce à Dolan, ce qui est au centre de l’exploration artistique c’est très précisément cette articulation entre le visible et le dicible ou l’indicible.