Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 30 septembre 2019

L’ŒIL DE L’ÉTRANGER

De fait, si le narrateur hésite entre l’inclusion et la distance, ce n’est pas qu’il constate un principe insurmontable de division mais plutôt qu’il se sent comme un « homme étranger à nos luttes et à nos aspirations qui, tombant tout à coup au milieu de nous, peut regarder d’un œil impartial notre ville devenue, par un blocus impie, mystérieuse, impénétrable. » (p. 825). En même temps, il y a cette valeur extensive – politique du « nous ». L’étranger est une position discursive ; il autorise à regarder autrement et à questionner les perceptions, encombrées de représentations, d’idéologies, de préjugés, préjugés de classe notamment – d’où les injonctions : « si vous regardez bien », « à bien y regarder » (p. 819). C’est-à-dire que l’œil réapprend à voir pour comprendre, et quand il est parvenu à comprendre achève de mêler narrateur et lecteurs à la collectivité : « Approchez-vous des groupes, écoutez » (p. 820). Et ce faisant, il ouvre un espace possible d’interlocution comme il reconnaît réciproquement le droit du peuple à la parole dont ce dernier était jusque-là privé. La dignité qui consiste pour ces assemblées douvriers à s’entretenir désormais de « choses graves » (id.) entraîne non l’équivalence mais l’égalité : les ouvriers échangent « sur des problèmes qu’avaient abordés les seuls philosophes » (id.), l’homme de savoir et de culture y perdant par conséquent son privilège. Un tel changement s’explique par ce paradoxe que l’étranger est aussi, et simultanément, indigène, il est une partie du nous.